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Juillet 2022 - Victor Hugo à Breteuil en 1837

Passage de Victor Hugo à Breteuil en 1837

 

 

C’est un écrivain de 35 ans déjà consacré par la critique, installé dans la célébrité littéraire (avec, notamment, le succès de Notre-Dame de Paris en 1831, et proche familier des cercles mondains de la cour du roi Louis-Philippe, qui traverse Breteuil et y fait une courte halte le 11 août 1837. Logé à Amiens le soir même, il écrit à son épouse Adèle Foucher (1803-1868), à 9 heures du soir :

« Je t’écris bien vite quelques lignes d’Amiens, chère amie. J’arrive et je n’ai que de l’encre blanche sur le marbre d’une commode et ce papier que voici. Je t’aime, mon Adèle, sois-en bien sûre. Je t’écrirai plus au long la prochaine fois.

« La route de Paris [à] ici est un grand jardin. Il y a beaucoup d’églises vraiment charmantes. Creil est une jolie ville avec de vieux beaux édifices, un pont coupé par une île et des eaux où tout cela se reflète[1]. Il y a à Breteuil un petit châtelet exquis du quinzième siècle qui sert d’hôtel des postes. C’est comme à Verneuil[2]

[1] Nous sommes alors quelques années avant l’ouverture de la ligne de chemin de fer Paris-Amiens en 1846 et le développement industriel considérable du bassin creillois. Des « vieux beaux édifices », il subsiste néanmoins encore aujourd’hui une partie de l’ancien château et l’église Saint-Médard.

[2] Il s’agit très probablement de Verneuil-sur-Avre (Eure).

« Et puis un charmant clocher qui m’a paru tenir à une belle église.

« Je t’écris tout cela dans un bruit affreux, et le cœur fort triste. Je songe à la joie que j’aurai de vous revoir tous, mon Adèle chérie. Il est bien bête de quitter la maison où l’on est si bien pour aller venir dîner dans des assiettes d’auberge où l’on dit les chansons de Béranger[3] à travers sa soupe. Mais que veux-tu ? il faut bien changer l’attitude de son esprit, et les voyages servent à cela.

[3] Le poète Pierre-Jean de Béranger (1780-1857) connut une extraordinaire popularité grâce à ses chansons, notamment satiriques et humoristiques.

 « Adieu, mon pauvre ange, à bientôt. Embrasse pour moi ma Didine[4] que j’aime tant, et Charlot[5], et Toto[6], et Dédé[7], embrasse-les huit fois sur leurs huit joues. Je t’aime, ma Didine, je t’aime, mon Adèle. Mille baisers.

[4] Sa fille chérie Léopoldine, alors âgée de presque 13 ans, et qui mourra tragiquement et accidentellement en 1843, noyée dans la Seine à Villequier, au grand désespoir du poète qui lui consacrera des pages et des vers déchirants.

[5] Charles Hugo (1826-1871), 2e fils de l’écrivain. Il sera lui-même journaliste.

[6] François-Victor Hugo (1828-1873), 3e fils de l’écrivain, se spécialisera dans la traduction d’œuvres littéraires anglo-saxonnes.

[7] Benjamine de la famille, Adèle Hugo (1830-1915), seconde fille de l’écrivain, était atteinte de graves troubles psychiques et passa une grande partie de son existence dans une maison de santé.

« V. [8]»

[8] Victor Hugo, Lettres et dessins de Picardie, Association Monuments de Picardie, 1985, p. 33.

 Ces quelques lignes de l’immense poète sont très précieuses, à divers titres. En premier lieu, elles témoignent que Victor Hugo a fait halte – même rapide - à Breteuil et qu’il a pu brièvement observer son environnement. En deuxième lieu, il y évoque deux monuments : le relais de poste et l’église paroissiale Saint-Jean-Baptiste. La poste aux chevaux était alors établie place du Marché-au-blé, à proximité du nouvel hôtel de ville néo-classique récemment achevé. Dans la description de Victor Hugo subsiste cependant un mystère : l’écrivain évoque un « châtelet exquis du quinzième siècle » qui ne semble pas correspondre à ce qu’était alors le relais de poste. Hugo s’est-il trompé d’édifice ? Le seul édifice pouvant se rapporter à une telle description était alors (et demeure toujours), l’ancien logis de l’abbé de l’abbaye bénédictine avec ses deux tours, logis construit au tout début du XVIe siècle. Mais là encore, problème : jamais à notre connaissance ce logis n’a abrité un relais de poste…

 

 

La seconde mention de Hugo est beaucoup plus claire. Depuis la place du Marché-au-Blé, l’écrivain pouvait effectivement apercevoir la tour-clocher de l’ancienne église Saint-Jean-Baptiste de Breteuil (détruite en 1940), alors que le reste de l’édifice était dissimulé par les maisons de la rue Grande (actuelle rue de la République). Cette tour-clocher, initialement bâtie au XIIIe siècle, avait été partiellement reconstruite au XVIe siècle, et remaniée au XVIIIe siècle.

Le lendemain, 12 août 1837, Hugo devait naviguer sur la Somme, entre Amiens et Abbeville, avant de rejoindre Arras le 13 août.  

Ainsi, sur la route entre Paris et Amiens, Victor Hugo a su laisser quelques lignes écrites de son passage éphémère dans notre bourgade britulienne.



P.S. Le fond des images de ce document est un fac-similé d'une lettre de Victor Hugo datée du 5 octobre 1835 et adressée à Juliette DROUET (1805-1883) et extraite des Lettres d'Amour de Victor Hugo (collection personnelle):

"...J'ai déploré plus d'une fois les fatalités de ta vie, mon pauvre ange méconnu, mais je te dis dans la joie de mon coeur, si jamais âme a été noble, pure, grande, généreuse, c'est la tienne, si jamais coeur a été bon, simple, dévoué, c'est le tien, si jamais amour a été complet, profond, tendre, brûlant, inépuisable, infini, c'est le mien.

Je baise ta belle âme sur ton beau front.

                                                                                                              Victor"